Prophétie -1/2-

A Andaria, Royaume retiré et isolé de Vesperae, certains troubadours se transmettent de génération en génération une étrange prophétie :

"Un Ange apparaîtra et, condamné à mort, la pire des souffrances lui sera infligée, entraînant son éveil et avec lui un Espoir de survie.
Un nouveau chemin pour lui s'ouvrira ; un nouveau Chemin pour tout un peuple, condamné par sa douleur, sauvé par sa tristesse."
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Ailin connaît bien cette histoire. Elle n'est pas troubadour, non, mais elle a souvent entendu Icar -son ami d'enfance- la raconter.
Icar n'est ni le plus beau, ni le plus grand, ni le plus fort, ni même le plus talentueux des troubadours et pourtant c'est lui que Ailin pourra rester des heures à écouter. Assise derrière un tronc d'arbre, les yeux mi-clos, le menton posé sur ses genoux ramenés contre sa poitrine, elle restera ainsi cachée de son ami, pour ne pas le déranger dans ses récits.
Elle étant fille de paysans et lui voyageant énormément, elle savourera chaque seconde, essayant de garder chaque instant en mémoire, pour mieux supporter sa prochaine absence.

Ce jour-là Icar était parti à l'aube. Il n'avait passé qu'une soirée ici, dans leur petit village natal. Il était arrivé avec cinq autres troubadours la veille au matin, avec deux jours de retard... Durant cette journée Ailin avait été de très joyeuse humeur, impatiente de rentrer au village après une journée passée à étudier à la ville voisine.
Le soir venu, tout deux s'étaient retrouvés avec beaucoup de bonheur mais aussi beaucoup de retenu. Jamais d'embrassade ou d'enlacement, juste quelques mots et sourires.
La soirée avait été agréable ; chacun des troubadours avait raconté une histoire et chanté quelques chansons. Tout le village s'était réuni autour d'eux et avait été particulièrement captivé par les narrations de Samoya (un des compagnons de Icar), un grand et beau jeune homme, charmant et à l'air doux.
Après le dernier récit, les jeunes filles du village s'étaient attroupées autour de Samoya, alors que les hommes, jaloux, ruminaient entre eux et que les mères surveillaient du coin de l'oeil leurs filles.
Après avoir échangé un regard et un sourire, Ailin et Icar s'étaient éloignés de cette agitation et avaient marché jusqu'au bord du lac, d'où on pouvait apercevoir les lumières du village au loin.
Comme presque toujours ici la nuit était claire et il régnait un calme apaisant dans cette demi-obscurité.
Les deux amis s'étaient raconté ces dernières semaines, le jeune homme ayant bien plus de choses à raconter de ses voyages que Ailin de ses études à la ville.
Ils avaient parlé ainsi pendant des heures, s'écoutant avec attention et s'épargnant les moments désagréables pour ne partager que le meilleur.
Puis ils s'étaient endormis, bercés par le bruit du vent dans le feuillage des arbres bordant le lac.

Lorsque Ailin se réveilla, Icar était déjà parti. Il ne restait plus de lui que l'empreinte de son corps laissée dans l'herbe aplatie.
Ailin n'était pas bien. Attristée comme à chaque fois d'être séparée de Icar, ce matin elle ressentait en plus deux fortes douleurs dans le haut du dos. Elle rentra chez elle et se recoucha. Elle ne se réveilla que tard en fin de matinée et la douleur avait laissé place à une étrange sensation de froid, toujours au même endroit dans le haut du dos. Un peu inquiète, elle demanda à sa mère Madelyn de l'examiner : à l'endroit de la douleur il y avait deux marques à peine plus claires que sa peau et qui avaient la forme de gouttes d'eau retournées, les deux pointes tournées l'une vers l'autre.
Madelyn appliqua une pommade à base de diverses plantes de la région et la froide sensation disparu au bout de quelques heures.
Le lendemain cependant, la douleur se fit tellement violente que Ailin ne pu se lever pour aller à la ville. Pendant deux jours elle resta ainsi, ne pouvant bouger, recroquevillée sur elle-même car ainsi la douleur s'atténuait.
Aucun des nombreux guérisseurs venus à son chevet ne trouvait remède efficace... Et puis au bout de ces deux jours, la douleur disparu...
Elle retourna étudier mais fut rapidement victime de crises durant lesquelles la douleur réapparaissait, à chaque fois plus violente.
Ces crises devinrent de plus en plus rapprochées, jusqu'à ce qu'elles soient une inquiétude permanente pour Ailin, qui à chaque seconde craignait une nouvelle décharge ; car c'est comme cela qu'elles se manifestaient à présent.
Les deux marques avaient grandi et à chaque crise, deux sortes de cicatrices apparues récemment s'agrandissaient, semblant lui fendre le dos.
Si la maladie continuait de progresser ainsi, Ailin n'auraient plus beaucoup de temps à vivre...

Lorsque Icar l'apprit, il s'empressa de s'en revenir au village, toujours avec ses compagnons, sans rien divulguer des raisons de son retour. Il prétexta la fatigue pour justifier son installation pour une durée indéterminée.
La nuit même de son retour, après une soirée de récits et de chants, les deux jeunes gens s'éclipsèrent comme à leur habitude.
Icar raconta ses dernières découvertes et Ailin parla très peu, réagissant uniquement à ce que disait son ami... "s'épargner les moments désagréables, ne partager que le meilleur..."
Et puis Icar décida d'en parler...
Il demanda à voir ses marques, elle s'exécuta sans mot dire. Elle se détourna, pencha la tête en avant et releva son vêtement, laissant apparaître les cicatrices. Il les effleura du bout des doigts, la faisant frissonner.
Lorsqu'elle se retourna à nouveau vers lui il souriait, et dit simplement :
"- On dirait des marques d'ailes d'ange..."
Elle lui sourit en retour puis ils s'allongèrent dans l'herbe fraîche. Ailin pria le ciel de na pas être victime d'une crise maintenant et tout deux finirent par s'endormir.

A son réveil elle était dans son lit, couverte par la cape d'Icar. Celui-ci avait disparu. Il était parti sans prévenir personne, on ne savait même pas quand exactement.

Une semaine plus tard un voyageur appris aux villageois que la guerre avait éclaté dans le Royaume. Un groupe de mercenaires avait revendiqué le trône d'Andaria, jugeant que le Roi n'était plus apte à gouverner. Ils pillaient et tuaient de sang-froid le peuple pour pour affaiblir le Roi en le privant d'une grande partie de ses revenus et de nourriture qu'il acquérait sous forme de taxes.
En quelques mois la moitié d'Andaria fut ravagée, et le peuple fuyait vers l'ouest, les mercenaires venant de l'est.
De nombreux réfugiés furent accueillis dans le village de Ailin, dont la santé s'était encore dégradée. Le départ d'Icar et l'absence de nouvelle l'avaient privée de toute volonté de lutter, et malgré les efforts de Samoya -resté au village- pour lui venir en aide, elle restait dans sa chambre, attendant probablement que vienne son heure.

Un des réfugiés apprit aux villageois que le chef des mercenaires était un ancien troubadour et que d'après les rumeurs il était natif de ce village. Il avait même entendu dire que son nom était Icar.
Personne ne le crut, et puis de nouveaux rescapés affirmèrent que le prétendant au trône criait haut et fort que son nom était Icar et que le contrôle du Royaume lui revenait.
Alors les gens se mirent à le croire et la rumeur arriva aux oreilles de Ailin.
C'était impossible... Icar, son ami... si gentil... ne pouvait être l'auteur de ces actes barbares, il s'agissait forcément d'un malentendu...